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| STRASBOURG
ENGAGEMENT, ALIENATION, IMPUISSANCE : LES SOIGNANTS À BOUT DE FORCES.
Shadows in the mood ou révolution morale?
On peut figurer la relation médicale comme une double aliénation asymétrique. Un des versants est visible et contesté : l’assujettissement des malades à la domination médicale. L’autre versant est moins apparent : l’identité professionnelle du soignant est une identité aliénée : « Que serait une infirmière s’il n’y avait pas de malade ? Et quel étrange animal serait alors le médecin !» . Cette aliénation est choisie, décidée, professée (cf. serment médical), mais non vécue comme étant forcément une aliénation (avec ses connotations négatives).
À l’heure où les professionnels de santé sont réputés être ou se disent « aux limites de leur engagement », et vivent une forme d’impuissance, une enquête étiologique s’impose : s’agit-il de l’ombre portée de l’individualisme, d’une perte de sens accélérée par une conception productiviste des soins, d’un changement dans la valeur accordée au travail en général, d’une remise en cause de cette double aliénation asymétrique par les deux parties ? Est-ce qu’on assiste actuellement à un « coup de mou » à contextualiser (hôpital-entreprise, pandémie exténuante, etc.) pour mieux « rebondir », avec « enthousiasme et résilience », ou faut-il discerner dans cette actualité de la souffrance des soignants les signes d’une mutation de grande ampleur, qu’on ne sait pas encore comment accueillir ni s’il convient d’y résister (avec quelles énergies) ?
Nous nous proposons d’analyser la relation médicale (et plus largement soignante) en mobilisant deux concepts, l’aliénation et la puissance. Une aliénation est cachée au cœur du métier, dont la trame est liée à une relation anthropologique fondamentale (la dépendance à autrui) ; une autre aliénation, au sens marxien du terme, apparaît à présent au grand jour de l’entreprise productive, alors qu’elle pouvait passer inaperçue, subtilement enchâssée dans un pouvoir de service et de soin. Les remises en cause de ce pouvoir rendent nécessaire le décryptage de ce que recouvre réellement la puissance de soigner (qui semble basculer en impuissance). Quels sont les rôles respectifs des puissances actives (capacités d’être la cause de changements chez le patient) et de la puissance passive (celle d’être modifié par l’action du malade) dans le soin ? Quels en sont les déterminants qui tiennent à l’agent (individuel et collectif) ? Quelles en sont les causes externes ? Quelle est la place de l’engagement subjectif dans un travail ordonné aux intérêts d’un autre ? Les changements sociaux et politiques affectent-ils le noyau dur de la disposition soignante ou la bousculent-elle en surface ? Finalement, ne faudrait-il pas remettre en cause l’aliénation-engagement du soignant ? Est-ce réellement la clef d’une médecine humaine (pratiquée par des personnes pour des personnes), ou faut-il l’envisager différemment ? Une révolution morale est-elle en marche ?
Un chantier s’ouvre, peut-être pour plusieurs années.